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L’hypersensibilité chez les hommes et les garçons
L’hypersensibilité en général est traitée ailleurs sur ce site. Ici, il est question
spécifiquement des garçons et des hommes hypersensibles, qui viennent dans mon
cabinet tout autant que des femmes hypersensibles et des femmes et hommes qui ne
le sont pas.
L’hypersensibilité spécifiquement masculine reste pour beaucoup un non-sujet,
et la littérature idoine reste encore maigre. (Mais les choses progressent. On notera
par exemple “Fort comme un hypersensible” par Maurice Barthélémy et Charlotte
Wils.) L’offre de stages et de conseils, tout comme la présentation du sujet dans les
médias, restent encore très centrées sur le versant et le vécu féminins de
l’hypersensibilité. L’hypersensibilité féminine est depuis longtemps relativement bien
acceptée en société (qu’on regarde pour preuve qui verse les larmes, et pas qu’un
peu, dans les vieux classiques du cinéma) même si les femmes hypersensibles
éprouvent souvent bien des difficultés dans une société qui valorise peu
l’hypersensibilité - sauf peut-être dans les métiers artistiques.
Les hommes hypersensibles rencontrent souvent encore un dédain particulier.
La société utilise encore volontiers envers eux des dénigrements comme “lavette” ou
“******* molle”. Et si l’injonction “sois une femme!” est rare, le fameux “sois un homme!”
reste une technique courante pour influer sur le comportement masculin et notamment
l’inciter à refouler ses émotions. Son efficacité vient probablement du fait que c’est une
menace implicite de faire honte (“tu n’est pas un homme!”!).
Ce qui rend le vécu plus difficile est que les hypersensibles de tout sexe
manquent souvent d’assurance. Se positionner en tant que personne plutôt discrète
et silencieuse dans le vacarme de la société est donc d’autant plus difficile. On peut
finir par se sentir invisible et même superflu(e). Cela peut résulter en un cercle vicieux
allant vers la solitude. Et le taux de suicide chez les hommes est un multiple de celui
chez les femmes. (Il n’existe pas de statistiques spécifique aux hommes
hypersensibles. Mais on peut imaginer que leur part dans les suicides dépasse la
moyenne.)
Il importe alors d’explorer et de constituer des ressources intérieures et d’être
dans un bon contact sincère avec soi-même, pour rester centré sur ses points forts
et être moins atteignable aux blessures venues de l’extérieur. Cela s’apprend.
Elaine Aron écrit dans son livre sur les hypersensibles en psychothérapie
("Psychotherapy and the Highly Sensitive Person”, non traduit en français) qu’il
n’existe non pas deux, mais quatre sexes - les femmes, les hommes, les femmes
hypersensibles et les hommes hypersensibles. Elle explique qu’en termes
d’acceptation culturelle, les hommes hypersensibles sont probablement ceux qui
rencontrent le plus de difficultés tout en étant les moins entendus. Peu de femmes se
rendent compte combien le vécu de ces hommes peut ressembler au leur, et combien
cela peut faire de mal à un homme hypersensible lorsque des femmes font montre d’un
mépris généralisé pour “les hommes” et les mettent tous dans un même sac.
Une difficulté réside dans le fait qu'une haute sensibilité est souvent
culturellement associée à la "féminité" - comme s'il fallait abandonner en partie sa
propre masculinité, ou même la trahir, pour aller explorer sa sensibilité. Cela provient
de ce que les modèles classiques et clichés culturels apparaissent en majorité comme
émotionnellement anesthésiés. Le blocage de l'accès à sa vie intérieure permet au
héros de faire face aux tâches et aux menaces extérieures sans distraction
émotionnelle. Il peut ainsi construire et défendre la cité sans trop se poser de
questions. Cela a sans doute été un avantage pour la survie de l'espèce. Sinon la
culture n'aurait pas aussi longuement maintenu ces modèles ni dévalorisé ceux qui ne
s’y tenaient pas. Mais aujourd'hui, la confusion entre sensibilité et féminité fait partie
des programmations mentales à dépasser.
Une autre difficulté vient de ce que le discours sur l’hypersensibilité est encore
largement dominé par les femmes. De nombreux contenus disponibles sur Internet
sont rédigés par des femmes travaillant surtout avec des femmes. Or, pour un homme
hypersensible, la solution ne consiste pas forcément à essayer de vivre son
hypersensibilité telle qu’elle lui est présentée par les femmes. Car ce ne serait qu’une
autre manière de ne pas vivre sa vie de façon authentique, et pourrait causer
davantage de problèmes que cela ne résoud. Les hommes doivent encore découvrir et
créer leurs propres forme d’expression de leur hypersensibilité. Il y a là tout un
continent à découvrir.
Les hommes ont droit à une vie intérieure tout aussi riche que les femmes. Et toute
émotion est légitime par le simple fait qu’elle existe, car elle est un message venu de
l’intérieur de l’être. Sur le chemin de la réconciliation entre le masculin et le féminin
qu'il va bien falloir entreprendre, il pourrait bien incomber aux hommes hypersensibles
un rôle de précurseurs. Mais beaucoup ne le savent pas encore. Peut-être même
l’homme hypersensible peut-il faire ressortir ce qu’il y a de meilleur dans la femme.
La célèbre thérapeute de couples Esther Perel constatait dans un entretien une
observation récurrente: lorsqu’elle a affaire à des hommes sensibles qui avaient
vécu ou subi des violences dans leur famille d’origine, beaucoup d’entre eux
sont coupés de leur énergie masculine. Ils ont été témoins ou victimes des
conséquences destructrives de l’agressivité dans sa forme sombre (violence), en ont
ressenti de la douleur, fût-ce celle des autres, ressentie par empathie. Ils ne veulent
rien avoir à faire avec cela et décident de “ne surtout pas être comme cela” plus tard
dans la vie. Mais la conséquence est qu’ils se coupent aussi de la face positive de
l’énergie d’agression: le dynamisme, l’énergie, la décision, le mouvement ciblé, la
persévérance dans l’adversité et sur la durée. Ils peuvent devenir le jouet de leur
entourage, sans direction personnelle ni motivation, faire entièrement dépendre leur
estime de soi de ce que penses les autres, se résigner peut-être dans une relation
dans laquelle l’autre a pris le contrôle des affaires ou est une personne hautement
narcissique (la configuration d’une personne hypersensible avec une autre personne
narcissique étant fréquente, indépendamment du sexe). Ou leur partenaire finit par en
avoir assez d’être la seule des deux à prendre des intitiatives et prendre ses distances.
Ou peut-être un tel homme n’aura pas de partenaire du tout, voire se soustrait le plus
possible à la réalité et se distrait par les jeux vidéos ou d’autres distractions ou
substances.
Dans ce cas, il faudra entrer en contact avec son “Ombre”, c.à.d. faire face à ce qui a
été refoulé. Car la source de l’énergie vitale perdue de vue, tout comme peut-être le
but de sa vie, se trouvent précisément dans la partie du Moi dont ils se sont dissociés.
Partant, ils sont souvent aussi coupés d’émotions élémentaires et de leur joie de vivre.
Ce sont précisément ces parties-là, les plus craintes et peut-être les plus honnies, qu’il
leur faut se réapproprier pour retrouver leur énergie propre.
On peut bien sûr éviter de chercher des réponses. Mais cela peut vouloir dire qu’on
lègue les questions ouvertes à la prochaine génération. Au plus tard lorsque ces
hommes ont un fils, la question est posée en quoi ce fils est censé prendre son père en
exemple. Ne vaudrait-il pas mieux avoir un père qui donne en exemple une masculinité
saine, complète, maîtrisant sa vie, sans violence mais pleine d’énergie?
Un meilleur apprentissage de l’accès à vos émotions se fait de préférence dans
un espace de sécurité, dans le sens: avec des personnes avec lesquelles vous
vous sentez en sécurité et ne devez pas redouter d’être jugé ou accablé de honte. La
relation amoureuse (ou ce qui en reste) n’est souvent pas cet espace sûr et libre de
jugements. Mieux vaut entreprendre les premiers pas de cet apprentissage avec des
amis masculins ou un groupe d’hommes constitué à cette fin, avant de les développer
dans la relation amoureuse dans un second temps. Une question importante à vous
poser pourrait être: “Puis-je tout dire à cette personne ou ces personnes? Suis-je
disposé à leur exposer aussi mes vulnérabilités et mes côtés plus obscurs, sans
craindre d’avoir honte ensuite? Si vous avez envie de répondre oui à ces questions,
pourquoi ne pas ouvertement convenir avec ces personnes de vous ouvrir davantage
les uns aux autres dans le groupe, de partager vos vécus, et de vous offrir un feed-
back honnête, bienveillant et aussi dépourvu de jugements que possible? Et vous
pouvez tenter de mettre un nom sur les divers ressentis, pour affûter votre perception
de votre vie intérieure et votre discernement émotionnel et affectif. Ainsi, ce qui fut un
vague grondement sourd dans vos tréfonds révèlera peut-être toute une palette de
sensations bien différenciables et plus faciles à décoder. Cela peut sembler un peu
infantile parfois, comme une sorte d’”alphabétisation émotionnelle”, mais cela ne fait
rien. Après tout, vous explorez des choses comme peut-être ni votre père, ni vos
grands-pères, ni d’autres ancêtres masculins n’ont peut-être pu ou su explorer. Vous
faites oeuvre de pionnier.
Une choses capitale pour les hommes hypersensibles est de voir un sens dans
leur existence, leur but dans la vie. Pourquoi suis-je là? Ils éprouvent souvent un
sentiment d’avoir une sorte de “mission”. Et cette “mission” consiste souvent en une
certaine façon de se mettre au service des autres ou de l’humanité, ou même d’autres
êtres vivants. Les hypersensibles en général ont souvent peu d’intérêt pour les critères
“officiels” de succès tels l’argent, le pouvoir et la célébrité. La vie d’un homme
hypersensible peut s’avérer difficile et empreinte d’un sentiment de vide lorsque cette
voie reste inconnue ou qu’il est trop éloigné de son chemin. Il se laissera peut-être
aller, par manque d’un noyau personnel stable et de conscience de sa voir. Comme un
voilier qui ne met jamais les voiles.
Y a-t-il en vous depuis longtemps un projet, un sentiment d’avoir une mission,
quelque chose à accomplire en ce monde? Un coach ou un mentor peut vous
aider à les formuler puis à entrer en action. Une fois qu’il a trouvé sa voie et
l’emprunte enfin, il peut y trouver épanouissement et gratifications, nonobstant les
embûches. Tout cela prend un peu de temps. La patience est une alliée. Et on trouve
d’autres alliés par une voie simple: en demandant de l’aide. Il n’y aucun mal, aucune
honte à demander de l’aide. Devoir tout régler tout seul est un malentendu courant,
mais néanmoins un malentendu.
Et je voudrais dire aux garçons et aux jeunes hommes qui vivent mal leur
hypersensibilité: les choses s’améliorent avec l’âge, et la sérénité est tout à fait
possible. Mais pour cela, il faut entrer en action, et en particulier inventer sa manière
très personnelle de vivre son hypersensibilitäe d’homme ou de garçon. Arrivé à la
trentaine, il ne faut plus perdre trop de temps pour quitter les fausses pistes et les
impasses précédentes, trouver sa propre voie et construire sa vie, une vie conçue en
tenant bien compte de sa sensibilité si particulière au lieu de vouloir faire comme si elle
n’était pas là.
A un âge plus avancé, tout reste possible, même si c’est parfois un peu plus laborieux.
D’autant qu’il faut alors se pardonner avec la plus grande bienveillance et beaucoup
d’auto-empathie les occasions manquées jusque-là sur le chemin. L’avantage de l’âge
qui avance, c’est l’expérience: on connaît des raccourcis et voit mieux les faux-
semblants. On peut donc avancer vers ses objectifs sans trop de distractions sur les
chemins de traverse.
Peut-être y a-t-il en vous des choses que vous n’avez jamais dites, parce
qu’aucun homme ni aucune femme ne vous a donné l’impression de vouloir ou pouvoir
les entendre en étant dans l’acceptation et non dans le jugement. Pourquoi ne pas
partager ces idées, prises de conscience et ressentis avec un homme qui a traversé
des expériences similaires, et qui ne vous jugera pas mais vous accompagnera dans
votre recherche de la route à suivre à l’avenir? Peut-être les choses difficiles
rencontrées jusque-là pourront-elles prendre une tournure positive?
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Alexander Hohmann - le Blog
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